Les jeunes ont-ils parfois le sentiment que leurs actions ne sont pas en adéquation avec leurs convictions ?

Il n’est pas toujours facile d’être une personne engagée. Les jeunes que nous avons rencontrés, dans le cadre de nos recherches, nous ont fait part de leurs difficultés.

Première difficulté : avoir peur de perdre la face
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D’après nos répondants, il est important que leur engagement soit crédible aux yeux de leur entourage. Ils cherchent alors à exprimer leur engagement dans différents espaces de manière cohérente : à leur domicile avec leur parent, auprès de leur famille, des grands-parents, oncles et tantes, avec leurs amis, bien sûr, et même dans des situations plus rares, lors de voyages à l’étranger, par exemple. Mais, afficher ses valeurs dans toutes les situations rencontrées n’est pas toujours facile car, souvent, il est possible de rencontrer des personnes qui sont loin d’être d’accord avec nous !

Un problème apparait alors : afficher ses valeurs d’un coté et, d’un autre côté, s’affirmer en tout temps implique de multiplier les risques de désaccords ! Nous parlons alors de « travail » de cohérence car cela demande énormément de temps, d’énergie et de motivation pour y parvenir.

Avez-vous déjà remarqué que cette exigence de cohérence affecte aussi votre manière de vous exprimer sur les réseaux sociaux ?

Le développement des réseaux sociaux a conduit de nombreuses personnes à penser que, sur internet, il est possible d’être « quelqu’un d’autre », de se créer une nouvelle personnalité, une nouvelle histoire… Pourtant, nous voyons chaque jour aussi le contraire !

Notre étude a montré que les individus engagés en faveur de l’environnement recherchent également une cohérence entre ce qu’ils affichent de leur engagement en ligne et hors ligne; et qu’il y a donc une continuité entre les deux univers, numérique et physique.

Essayez-vous d’afficher vos différents engagements autant sur les réseaux sociaux que dans la vie quotidienne ?

Paroles de jeunes

« Ouais, il y a des fois c’est pas toujours facile de s’imposer, il faut quand même beaucoup, il faut avoir déjà assez confiance en soi et pas avoir peur du regard des autres. Ça c’est encore un truc avec lequel j’ai un peu de mal, je me soucie trop du regard des autres donc c’est pour ça que des fois je pense que ça me freine un peu sur les choses que je peux faire. […] »

Alexandre, 22 ans, éco-engagé

Deuxième difficulté : rester fidèle à ses valeurs dans toutes les situations
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S’assurer que ses actions sont toujours en adéquation avec ses valeurs n’est pas toujours facile. Cela demande un travail constant, et même parfois des efforts de justification. Il se peut, comme plusieurs jeunes nous ont raconté, que des personnes autour de vous pointent ce qu’elles considèrent comme contradictions chez vous. Or, il est normal de parfois vivre un décalage, car s’adapter en permanence aux différents contextes, à l’école, à la maison, avec différents groupes d’amis, demande beaucoup d’énergie et d’efforts ! Si vous ressentez cela, sachez que vous n’êtes pas seul car de nombreux jeunes nous ont parlé de cette difficulté dans les entretiens.

Chez plusieurs répondants, il existe une hiérarchie des valeurs. Parfois, il s’agit du respect de la culture de l’autre qui prime sur ses valeurs écologiques comme vous pourrez le voir dans la section « parole de jeunes » avec l’exemple d’Alexandre. Le contexte l’avait conduit à mettre temporairement ses pratiques écologiques de côté. En effet, nos exemples montrent qu’en dépit de cette volonté d’être toujours cohérent avec ses valeurs, il existe des situations dans lesquelles cette cohérence n’est pas souvent atteinte. Cela signifie-t-il que cette personne n’est pas engagée ? Ou qu’elle n’est pas crédible ?

Pas à leurs yeux, car ce qui fait l’engagement, ce n’est pas le fait de toujours être parfaitement en cohérence avec ses valeurs écologiques, mais bien de tendre, en respectant les autres, vers plus de cohérence…

Paroles de jeunes

Par exemple, Zoé, nous donne l’exemple d’une situation « délicate » :

« Q : Ok, est-ce que tu t’es déjà sentie en contradiction avec tes idées sur l’écologie ?

R : Oui, parce que… je ne sais pas, par exemple, je soutiens pas les multinationales mais pourtant il m’arrive quand même d’aller manger chez McDo. Dès fois, oui ça arrive que je sois en contradiction, comme fumer une cigarette alors que les mégots ça détruit les océans. Mais ça c’est par rapport aussi à nos influences, nos habitudes, nos fréquentations.

Q : Ok, qu’en penses-tu ?

R : Bah je fais tout pour les éviter mais en soi ce n’est pas facile parce que dans notre vie de tous les jours on ne peut pas non plus tout s’interdire. Et puis même, tant que la société ne change pas, on ne peut pas être non plus la seule… tant que tout le monde n’est pas dans cette optique-là, on ne peut pas faire tout, tout seul. Je ne peux pas dire « moi je ne mange pas à McDo alors que tout le monde y mange » tu vois ? » (Zoé, 16 ans, éco-engagée)

Zoé, 16 ans, éco-engagée

Zoé est confrontée à un problème que nous rencontrons tous. Elle fait face à ce que nous nommons, en sociologie, une « tension ». D’un côté, elle voudrait être en phase avec ses valeurs écologiques. D’un autre côté, elle tient à ce moment de convivialité avec ses amis au McDo. Elle a dû faire un choix. Et certains jeunes de l’enquête nous racontent se sentir souvent coupables lorsqu’ils dérogent à leurs valeurs écologiques dans ces moments difficiles…

Avez-vous vécu des situations semblables à celles racontées par Zoé ? Si tel est le cas, dans quelles situations précises cela vous est-il arrivé ? 

Nous comprenons ici que les personnes que nous côtoyons ne partagent pas toujours exactement les mêmes valeurs que nous. Cela rend possible le débat ! En même temps, cela peut parfois compliquer l’envie que nous avons d’être cohérent, fidèle à nos valeurs… Le voyage est un autre bon exemple qui illustre cette difficulté.

Pour certaines personnes, il est même parfois préférable, dans certains contextes, de ne pas appliquer les règles relatives à ses valeurs écologiques :


« Q : Et, globalement, qu’est-ce que tu penses des pratiques écologiques que tu as eues pendant tes voyages au Mali ?

R : Ah bah c’est clairement le truc sur lequel tu es contraint de fermer les yeux malgré toi. Ça a été la chose la plus… ça a été un vrai travail de se dire ok j’accepte que je n’ai pas d’autres solutions que de polluer, de consommer comme un gros taré mais c’est aussi une histoire de priorité dans les valeurs. Typiquement je me suis remis à manger de la viande au Mali. Quand tu vois le prix de la viande au Mali, quand tu comprends ce que ça veut dire qu’est-ce que c’est un pays avec un revenu moyen mensuel de 60 € équivalents, tu comprends ce que ça représente quand on te met un poulet rôti dans ton assiette. Tu comprends l’effort que ça représente pour les gens de réussir à acheter ça pour t’offrir ça. Il y a une vraie importance donnée au bon accueil, il y a une telle représentation de la famine, une peur du manque que paradoxalement c’est peut-être au Mali que je me suis le plus fait péter le bide. Alors, j’ai consommé beaucoup et j’ai mal consommé, j’ai mangé beaucoup de viande, c’était impossible pour moi de refuser ça, quand on t’invite à l’Aïd et que tu sais que toi on va te donner les bons morceaux, les bons bouts parce que tu es l’invité roi et qu’on va donner le beau gigot d’agneau alors que tu sais très bien que les femmes qui ont cuisiné pendant trois heures avant toi elles elles vont manger trois heures après toi et qu’elles vont manger les abats, tu fermes ta gueule et tu manges ce gigot d’agneau, tu te fais discret, tu dis merci et t’es pas en train de dire « oui bonjour je mange pas de viande c’est pas bon pour la planète », non non, et là c’est une question…c’est une question de morale. »

Alexandre, 23 ans, éco-engagé

Troisième difficulté : quand la recherche de cohérence conduit à des formes de mal-être
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Vous est-il déjà arrivé de ressentir des émotions négatives (culpabilité, stress, peur) dans une situation où vous ne parveniez pas à mettre en application vos pratiques écologiques ?

D’après le sociologue Geoffrey Pleyers, l’engagement est aujourd’hui vécu comme une source de réalisation de soi et l’occasion d’expérimentation. Mais, le parcours d’engagement ne conduit pas toujours à l’épanouissement. En effet, plusieurs jeunes de notre enquête nous ont parlé de différentes formes de souffrances : fatigue, stress, peur, culpabilité… Cette souffrance n’est pas présente chez toutes les personnes mobilisées dans la cause écologique. Elle ne concerne qu’une partie de nos répondants.

Ce que notre étude nous a permis de comprendre, c’est que plusieurs facteurs peuvent conduire à ces formes souffrances : une surcharge de « travail » pour les personnes intégrées dans un mouvement écologique, un sentiment d’inefficacité des actions collectives, un trop plein de responsabilité et surtout, la recherche constante de cohérence et de perfection dans son engagement. Nous allons ici nous intéresser à ce dernier facteur.

Nous vous avons précédemment expliqué que certaines personnes engagées dans l’écologie ne parviennent pas toujours à mettre en place des pratiques écologiques. En réaction à cela, certains ne ressentent pas d’émotions négatives et acceptent le fait qu’il existe une limite dans l’engagement écologique. En revanche, pour d’autres, cela est plus difficile à accepter. C’est ainsi que des formes de souffrances peuvent apparaitre comme notamment, de la culpabilité.

Or, il est important de prendre en considération que dans l’engagement écologique la perfection n’existe pas et qu’il faut se détacher des normes de performances qui en découlent. L’engagement écologique possède donc des limites.

  • D’une part, car la société contemporaine et occidentale ne fournissent pas encore un contexte idéal pour être constamment en cohérence avec ses valeurs écologiques. Accepter cette limite peut permettre d’éviter une forme de souffrance.
  • D’autre part, il existe une limite personnelle. Les compétences, les connaissances, le temps libre et l’énergie de chacun forment effectivement des limites personnelles quant au degré d’engagement qui peut être atteint. Afin d’éviter toute forme de souffrance, il peut être ici intéressant d’identifier ses propres limites et de trouver un équilibre entre bien-être et impact environnemental.
Paroles de jeunes

Les propos de Thomas illustrent bien  cette idée :


R : « La démarche écologique, où est la limite ? C’est toujours compliqué cette question parce que tu te dis, en gros ça sous-entend un peu est-ce qu’on a fait le maximum, mais en fait on fait jamais le maximum et il faut juste l’accepter, il faut accepter le fait qu’on a un impact minimal et que ce minimum là en fait il est à contrebalancer sur notre propre bien-être. […] Il y a pas de limites donc en fait voilà pour moi il faut à la fois être très exigeant sur ces questions là envers soi-même, à la fois ne pas oublier qu’on est des êtres sensibles, qui avons des besoins et qui dit besoin dit impact souvent, les besoins matériels et de survie qui ont un impact sur l’environnement de manière générale. Je pense qu’il faut accepter ça aussi et d’être dans une démarche de ok je trouve mon équilibre entre voilà ça c’est ma limite minimale d’impact mais si je descends trop je touche trop à mon bien-être et du coup ça a un effet négatif sur ma vie de manière générale. »

Thomas, 27 ans, eco-engagé

Etes-vous, oui ou non, d'accord avec la phrase suivante : il est possible de défendre l'environnement et d'être toujours cohérent avec ses valeurs écologistes.
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