Que pensent les jeunes de la radicalisation dans le domaine de l’écologie ?

Puisque des chercheurs (S. la Branche, 2019 ; E. Gravier & S. la Branche 2020) disent avoir identifié une certaine tendance à la radicalisation des jeunes dans le mouvement écologique, nous avons recueilli le point de vue des militants sur ce sujet au cours de notre enquête. Sans leur demander de définir directement la radicalisation, nous les avons interrogés, entre autre, sur ce qu’ils considèrent comme étant une « personne radicale », une « opinion radicale » et une « action radicale ».

Les réponses fournies par les jeunes interlocuteurs à ces questions, ainsi qu’à celles relatives aux raisons de la radicalisation, en font un processus au cours duquel une personne passe, dans ses convictions et actions, d’un stade A à B :

Les réponses des jeunes rencontrés recoupent les définitions générales de la radicalisation dont celle de C. Guibet Lafaye (2017) qui l’assimile à un engagement « total » dans la mesure où elle consiste à « engager sa vie », « à aller jusqu’au bout » et « suppose d’agir » dans la durée à travers des actions radicales.

En partant de la nature des positions et du répertoire d’actions, Isabelle Sommier (2012 : 15) utilise le concept de radicalisation pour caractériser les engagements qui, « à partir d’une posture de rupture vis-à-vis de la société d’appartenance, acceptent au moins en théorie le recours à des formes non-conventionnelles d’action politique éventuellement illégales, voire violentes ».


Les caractéristiques de la radicalisation selon les jeunes rencontrés
1 . Des actes et opinions perçus comme immodérés et extrêmes

D’après nos répondants, le processus de radicalisation écologique se traduit par une tendance à des actes et des prises de position que le regard extérieur perçoit souvent comme immodérés, extrêmes voire violents alors que le militant concerné peut les assumer et/ou les justifier par divers arguments relatifs à l’importance qu’il accorde à la « crise écologique ».

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De plus, les répondants de notre enquête associent la radicalité dans l’engagement écologique à des prises de positions qui reflètent une tendance à se croire détenteur de « la seule » vérité sur la question de l’écologie. Par conséquent, cela implique de se fermer à toute idée ou opinion contraire, aussi sensée soit-elle.

Paroles de jeunes…

« Pour moi, une personne radicale c’est une personne qui serait persuadée de détenir la vérité et qui irait à fond dans son truc sans jamais écouter personne, même les gens qui tiennent à elle et qui ont envie de l’aider à avancer, qui veut y aller à fond, y compris en faisant des choses qui sont parfois contre-productives. Pour moi, quelqu’un de radical, vraiment radical, c’est juste quelqu’un qui est persuadé d’avoir la vérité et puis qui veut aller à fond dans son truc sans écouter personne. »

André, 23 ans, éco-engagé

2 . Des actions et des opinions perçues comme violentes

Les répondants voient la radicalité à travers certaines opinions et actions (parfois confondues) pouvant être des atteintes psychologiques, symboliques, physiques ou matérielles au nom de la cause écologique.

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Dans notre enquête, nos répondants parlent peu de « passage à l’acte » et ne valident pas la violence physique envers l’être humain. Ils sont, à ce titre, le reflet du mouvement écologique français, peu marqué par des attaques visant à attenter à l’intégrité physique des personnes. En outre, il faut nuancer l’idée que la radicalité dans l’écologie conduit à se fermer à la « discussion ». Ce qu’il faut dire, c’est plutôt qu’ils sont fermés à l’idée de se laisser convaincre à partir d’idées contraires à celles qu’ils considèrent inaltérables puisque scientifiques. Finalement, les militants que nous avons rencontrés travaillent à convaincre les citoyens pour qu’ils adoptent des comportements plus écoresponsables même si, dans cette perspective, ils tendent à imposer ou à valider l’idée que l’on puisse imposer des mesures écologiques plus contraignantes à l’ensemble de la société.

Paroles de jeunes…

« Par exemple, une opinion radicale ça serait de dire que, comme on sait que la viande ça pollue, on devrait interdire la consommation de viande, mais à mon sens c’est radical parce que ça prive les gens de leur liberté personnelle qui est la liberté de manger ce qu’ils veulent. […] Pour moi, le radicalisme, dans le terme du combat écologique, ça va vraiment commencer à se passer dans la désobéissance civile, mais la désobéissance civile par exemple avec XR qui va bloquer des congrès, qui va bloquer des aéroports, faire des ZAD, ça pour moi c’est du radicalisme. Et y a certaines idées radicales […] qui pour moi sont trop violentes, par exemple, aller bloquer un abattoir pour empêcher les animaux de se faire tuer ».

Leyla, 16 ans, Youth For Climate

« Pour moi, une personne radicale c’est une personne qui serait persuadée de détenir la vérité et qui irait à fond dans son truc sans jamais écouter personne, même les gens qui tiennent à elle et qui ont envie de l’aider à avancer, qui veut y aller à fond, y compris en faisant des choses qui sont parfois contre-productives. Pour moi, quelqu’un de radical, vraiment radical, c’est juste quelqu’un qui est persuadé d’avoir la vérité et puis qui veut aller à fond dans son truc sans écouter personne. »

André, 23 ans, éco-engagé


Ce qui motive la radicalisation selon nos répondants

D’après vous, qu’est ce qui peut conduire une personne éco-engagée à tendre vers la radicalité ? Notre enquête a permis de mettre en avant deux éléments qui peuvent, chez certains, expliquer la radicalisation des opinions et/ou des actions :

1 . La prise de conscience de l’ampleur de la crise environnementale

Beaucoup de nos répondants expliquent la radicalité à travers la prise de conscience, non seulement de l’urgence de la situation, mais aussi de l’ampleur des catastrophes qui se déroulent en ce moment même.

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Suite à une prise de conscience, la radicalité s’installe, d’après des répondants, de manière progressive avec des actions individuelles puis collectives, par lesquelles l’individu s’oppose « aux normes sociales – et notamment [aux] habitus sociaux liés à la consommation – en vigueur » (E. Gravier et S. La Branche, 2020) ».

Ainsi, la plupart des interviewés voit la radicalisation à travers une « prise de conscience » de l’ampleur du « problème écologique ». Notons, par ailleurs, que l’on peut prendre conscience des enjeux environnementaux sans s’engager, tout comme on peut s’engager sans se radicaliser.

Paroles de jeunes…

« Ca me donne envie d’être plus radicale, parce que justement je me sens de plus en plus impuissante et du coup j’ai de plus en plus l’impression que quand on milite pour que les gens mangent végétarien, par exemple, je vois de moins en moins l’intérêt de faire ça, et en plus la crise sanitaire fait vraiment réaliser que tout peut s’arrêter du jour au lendemain et qu’en fait ça donne envie que notre énergie soit mieux placée, je sais pas en fait, enfin j’ai pas envie de faire des choses inutiles parce que je sens encore plus l’urgence du truc. […] Justement, enfin, je sais pas, en fait j’ai pas d’exemple parce que je sais pas quoi faire; j’ai l’impression que ce qu’il faudrait faire c’est juste prendre le pouvoir nous-mêmes, mais ça me paraît beaucoup trop grand comme chose, ça me paraît trop compliqué, et les choses que je me sens capable de faire, j’ai l’impression qu’elles sont inutiles, donc je suis un peu dans l’entre-deux, enfin les choses qui me paraissent assez radicales et efficaces sont trop compliquées et les choses qui me paraissent faisables sont pas assez efficaces ».

Anissa, 19 ans, éco-engagée

 2 . Sentiment d’impuissance face à la situation écologique

Nos répondants reconnaissent l’inefficacité de certaines de leurs actions face à la situation écologique. D’une part, ils expliquent que les écogestes et les actions collectives telles que les manifestations pacifiques ont peu de répercussion sur la société. D’autre part, il est impossible pour eux de prendre le pouvoir politique pour imposer des lois aux industriels et mettre fin au consumérisme. Il semble que cette prise de conscience des limites de l’engagement détermine la radicalisation de certains militants.

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Beaucoup de nos répondants éco-engagés et même ceux opposés au militantisme écologique partagent l’idée que la radicalisation passe ou implique une rupture avec certaines pratiques de consommation et certains usages. L’exemple du véganisme est revenu dans de nombreux discours comme indicateur de radicalité. Être ou devenir végan ou végétarien accompagne le parcours du militant pour l’environnement. Ces pratiques deviennent le symbole du respect de la vie animale qui a la même importance, sinon plus que la vie humaine. Le rejet de certains moyens de transports comme l’avion et la voiture n’est associé à la radicalisation que par très peu de militants éco-engagés. Finalement, c’est majoritairement le regard extérieur, qui associe ces actes à la radicalité. Les écogestes sont le signe d’un engagement écologique, ils peuvent être considérés comme radicaux (comme le véganisme, le rejet de l’avion, etc., ou plus ordinaire comme le tri sélectif). Cependant ils ne déterminent pas la radicalisation et ne définissent pas explicitement la radicalité.

Paroles de jeunes…

« […] les éco-gestes, etc., c’est bien, mais y’a pas que ça qui peut faire changer les choses. Mais je trouve que c’est déjà mieux que ce que le gouvernement et les entreprises font. Parce qu’au moins les citoyens font quelque chose et ils essaient de leur côté, même si c’est une façon un peu impuissante de faire quelque chose; parce qu’on sait bien que ça va pas tout changer, mais déjà je trouve ça bien. […] Nous à, Youth For Climate, par exemple, on essaie d’agir en faisant des actions de désobéissance civile, en faisant des manifestations, en étant dans des luttes locales, etc., et je trouve déjà ça un peu mieux. Après, on sait bien qu’on essaye de faire plein de choses et qu’on n’a pas un impact énorme parce que les entreprises et le gouvernement ont le pouvoir un peu de faire complètement changer les choses. »

Marie, 18 ans, éco-engagée

Tous les militants éco-engagés qui tendent à la radicalité valident l’idée que les actions citoyennes devraient monter en intensité. D’une part, ils ambitionnent d’imposer aux gouvernants et aux industriels pollueurs à changer de politique et de mode de production. D’autre part, ils souhaitent imposer des comportements plus éco-responsables (au-delà du tri sélectif) aux populations. D’après Bertrand (19 ans), un de nos répondants éco-engagés, se radicaliser c’est « vouloir déconstruire le système actuel parce qu’il ne correspond pas aux réalités écologiques ».


La violence est-elle justifiée lorsque l’on s’engage ?

D’après vous, existe-t-il une limite dans l’intensité de l’engagement ? La violence physique est-elle nécessaire dans la lutte écologique ? Dans notre enquête quantitative, nous avons voulu savoir quelle proportion de la population française serait prête à sacrifier son avenir ou celui de ses proches pour défendre l’environnement. Les statistiques obtenues au sujet de certains indicateurs de radicalisation nous permettent de situer les jeunes à ce sujet en France.

Sacrifier son avenir pour l’environnement
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28% de l’ensemble des Français contre 44% des jeunes de 15-24 ans se disent prêts à sacrifier leur avenir et celui de leurs proches pour servir la cause environnementale. La forte proportion des jeunes qui valident un tel sacrifice est en cohérence, d’une part, avec la sombre vision qu’ils expriment majoritairement dans notre enquête qualitative, au sujet de l’avenir climatique et, d’autre part, avec le fait qu’ils sont 59% à se sentir « en partie responsable de l’état de la planète ». Par exemple, Esté qui répondait à notre enquête qualitative, s’interrogeait sur un avenir qu’elle ramène à l’échelle d’une vie humaine en disant « on ne sait pas si on va vivre en France en 2050 par exemple ». (Esté, 17 ans, éco-engagée)

Recourir à la violence pour l’environnement
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Enfreindre la loi pour l’environnement
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Nous avons aussi sondé les Français sur l’idée de commettre un délit ou crime au nom de la défense de l’environnement. Le constat est que les tendances confirment celles relatives à l’idée que la « violence physique est parfois justifiée » pour la même cause. Notre étude quantitative nous apprend donc que la violence peut, pour certains, être justifiée lorsqu’il est question de l’avenir de la planète. Ce que nous pouvons ici retenir, c’est que les personnes engagées n’ont pas toutes les mêmes limites en termes d’actions à mettre en place pour protéger l’environnement. Certaines personnes sont prêtes à mettre leur avenir en péril pour défendre l’environnement, à user de la violence ou encore à commettre un délit ou un crime alors que d’autres ne souhaitent en aucun cas avoir recours à ce type d’action. Cela nous montre que le mouvement écologique est traversé par différentes positions à ce sujet.

Etes-vous d’accord avec la définition de la radicalisation de Bertrand, 19 ans : « se radicaliser c’est vouloir déconstruire le système actuel parce qu’il ne correspond pas aux réalités écologiques »
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